Lorsque la parole libère !

Lorsque l’on s’adresse à un professionnel de santé et plus particulièrement en santé mentale ou en addictologie,
le terme de groupe de parole ou de groupe d’entraide est assez connu.
Mais en dehors de ces cercles le fonctionnement, l’histoire et surtout les bénéfices de ces groupes sont peu discutés.

Le premier endroit ou vous prenez le risque de voir un addict avec le sourire...

C’est le groupe d’entraide !

C’est le groupe d’entraide !

Groupe de parole ou groupe d’entraide ?

Je pourrais ajouter groupe auto-support que cela ne répondrait pas à la question.
Alors pour être simple et concis le groupe de parole est un procédé thérapeutique établi à la fin des années 30 par un neuropsychiatre américain nommé Abraham Low qui a pris en compte ce qui est aujourd’hui développé sous la bannière de l’approche par le rétablissement (recovery approach) et a créé la « Recovery Inc » devenue « Recovery International », organisation qui compte près de 600 centres en Amérique du Nord.
Le principe est simple et a évolué avec le temps en suivant le développement des protocoles en psychothérapie et notamment les phases des Thérapies cognitives et comportementales qui ont démarré avec Pavlov et skinner sur le conditionnement pour évoluer aujourd’hui autour de l’acceptation et la pleine conscience. (Thérapie de l’ACT et MSBR)

Groupe de parole ou groupe d’entraide ?

Les groupe auto-support tout comme les groupe d’entraide sont des groupes d’échanges de pratique et de conseil autour d’un thème par des pairs. La principale différence se situe dans les chams d’actions car si le groupe d’entraide se concentre sur le rétablissement et la santé le groupe d’auto-support à depuis les années 80 un rôle plus politique. Pour Eve Gardien, et je soutien cette définition du pair, un pair est une personne qui partage son vécu avec une maladie souvent chronique à une autre personne également atteinte de la maladie. De cet échange nait une reconnaissance mutuelle dans le parcours de vie de l’un et l’autre et une confiance issue de ce partage qui va permettre aux deux individus de se raconter et par la même de se rétablir. Les groupes d’entraides sont nés au milieu du 19 -ème siècle au Royaume Uni avant de connaitre un développement majeur aux USA dans les années 1930 avec la mise au point d’un programme par et pour les alcooliques anonymes.

Ne pas opposer mais construire des ponts entre les groupes

Les bases des pratiques pour le groupe de parole et le groupe d’entraide ont donc été mis par écrit au même moment aux Etats Unis, le groupe de parole est généralement dirigé par un professionnel de santé, psychologue ou médecin, il a bien entendu défini l’objectif de travail pour les participants et s’appliquera à ce que chacun participe à la thérapie de groupe et prenant la parole à tour de rôle. Les sujets sont sélectionnés et font partie des outils du rétablissement. Parmi ceux-ci, en addictologie, on retrouve l’entretien motivationnel, la gestion des sens et la construction de tableau de bord dans lesquels les patients ne manqueront pas de renseigner les éléments propices à leur rétablissement. Les groupes de paroles se tiennent en général dans un univers protégé, l’hôpital ou le CSAPA permettent de trouver des lieux ou un soignant n’est jamais bien loin en cas de besoin. Certains groupes de parole accueillent d’anciens usagers rétablis afin qu’ils témoignent de leur parcours de vie et de reconstruction

Une autre approche du changement sera de l’aborder sous des aspects différents, développée par Robert Dilts dans ses niveaux logiques.

A chaque étape ou niveau de changement il conviendra d’identifier les leviers qui amènent à la consommation et de mettre en face les outils nécessaires pour ne pas retomber dans la consommation compulsive. Il peut s’avérer nécessaire de modifier son environnement (personnel ou professionnel pour ne pas être tenté de revivre ce qui a conduit à retrouver un soulagement dans un comportement ou une substance. Par exemple si l’environnement d’un fumeur m’est insupportable, et déclenche chez moi une envie irrésistible de fumer (un craving) alors je vais modifier mon comportement et m’éloigner pour ne pas être tenté.

S’il est nécessaire de modifier mon comportement, il faudra parfois que j’aille chercher des compétences ou des capacités que je n’ai pas sur le moment. Ainsi je vais apprendre avec mon psychothérapeute par exemple à affirmer mes choix c’est-à-dire à refuser une proposition qui pourrait me mettre en situation de danger.

Bien entendu je n’ai pas forcément conscience de ces situation dangereuse pour moi ancien usager souhaitant modifier mon comportement et je vais donc avoir besoin de remplacer des croyances limitantes par des croyances me permettant d’atteindre mon objectif. Celle que je croise le plus fréquemment dans mes interventions est celle de l’impossibilité de changer… Ainsi j’entends encore qu’un alcoolique reste un alcoolique et qu’un joueur ne changera jamais et finira à la rue. Un peu comme si l’image du toxicomane ou de l’alcoolique était celle de ce SDF qui n’a d’autres occupations que ses consommations. Non, le SDF d’aujourd’hui a été un citoyen ou une citoyenne intégrée dans notre société avec un emploi un toit et parfois une famille.

C’est parce que nous n’avons pas vu ou pas su lui venir en aide que cette personne s’est enfermée dans sa maladie, rongée par ce que l’on appelle le renforcement négatif, cette consommation ou ce comportement sans plaisir et chargé de culpabilité de honte et de gène qui petit à petit amène la personne en dehors de la société.

Le groupe d’entraide, est généralement indépendant du processus de soin. Idéalement situé près des transports en commun, en centre-ville et dans les locaux associatifs de la ville, créés administrés par des bénévoles qui un jour ont eu ce besoin de trouver des pairs et qui ensuite viennent contribuer à leur tour à cette forme du rétablissement.

Je ne viens pas ici faire de comparaison entre les différents groupes d’entraide, ce qui est commun me parait bien plus important que ce qui les différencie. L’organisation, la préparation, la mise en place et le rangement tout est à la charge des participants Cela crée naturellement une ambiance différente. Les groupes d’entraide regroupent des structures associatives spécialisés historiquement dans l’alcoolisme et qui s’ouvrent aux autres dépendances et des groupes spécialisés par type d’addiction ou par type de public (proches, adolescents…). Indépendamment du groupe auquel on appartient les 10 mots clés suivants sont autant de points saillants vécus dans les groupes que j’ai pu fréquenter dans mon parcours.

Les 10 Mots Clés des Groupes d’Entraide :

Les 10 Mots Clés des Groupes d’Entraide :

Disponibilité

Il est fréquent d’échanger des numéros de téléphone, cela permet de trouver une oreille pendant un moment de doute…ou un craving qui ne durera que 10 (très longues) minutes.

Proximité

Le maillage territorial des groupes d’entraide est important. Cela permet aussi de changer de groupe lorsque celui-ci ne répond plus aux attentes. Nous y reviendrons avec un article sur le rétablissement.

Apprentissage

Apprendre de ceux qui ont ce que je désire… C’est-à-dire appliquer les conseils un jour après l’autre pour entrer dans un rétablissement actif

Inclusion

Pas de question sur la CSP l’origine ou l’orientation des personnes. Rien non plus sur les comorbidités psychiatriques pourtant fréquentes en addictologie. Petit à petit chacun découvre le parcours de l’autre au gré des partages.

Non-Jugement

Nous savons que l’addiction est une maladie chronique et qu’elle peut revenir dans notre vie quelles que soient les précautions que nous prenons. Aussi aucun jugement sur la personne ne trouvera écho, pas même à l’encontre d’une personne qui aura consommé avant de venir…

Source de progrès

Il s’agit bien évidement de progrès personnel dans le rétablissement. Ce sont les capacités de chacun à être acteur de son rétablissement qui vont faire que la personne va progressivement mettre de la distance entre sa maladie et son statut de dépendant qu’elle aura à assumer.

Souplesse (pas ou peu d’obligation)

Prendre du service, accepter de se mettre au service des autres le temps d’une réunion en préparant la salle, le café, ou bien le sujet du jour sont également des suggestions à faire à celui ou celle qui s’émancipe et se libère peu à peu.

Centré sur la personne et la maladie

En réunion, il n’y a pas de place pour d’autres sujets que notre maladie et ce que chacun met en place pour poursuivre son chemin de rétablissement. Bien sur il y aura toujours des liens qui se tisseront autour des tables mais leurs expressions doivent rester discrètes, ce n’est pas un lieu pour s’afficher.

Solidarité

Les associations fonctionnent soit en étant subventionnées par les pouvoirs publics parce qu’elles sont reconnues d’utilité publique soit sur les adhésions pour les fraternités anonymes qui à chaque réunion récoltent ce que chacun peut verser vers la communauté pour couvrir les frais de location de salle, de littérature et d’organisation.

Lieu de partage vers le milieu médical

Les associations d’entraide bien que prônant pour la plupart le retour à la liberté de s’abstenir de consommer (Principale différence avec les groupes d’auto-support) considèrent le milieu médical comme un partenaire du rétablissement. Les échanges sont nombreux et les portes des réunions sont toujours ouvertes pour partager les informations nécessaires au rétablissement.

Mais pourquoi fréquenter ces groupes d’entraide ?

Pour moi qui les fréquente de façon plus ou moins assidue en fonction de mes besoins et de mes possibilités, la réponse se situe dans ce qui a fait de moi un dépendant. Outre des prédispositions à l’addiction comme d’autres ont des prédispositions à d’autres pathologies psychiques que connaitront 1 personne sur 5 en France au cours de leur vie, j’ai eu besoin à une époque de ma vie de trouver dans des substances et des comportements, les ressources dont je pensais avoir besoin.

Ce n’est pas par vice ou par désœuvrement mais pour faire face à un déséquilibre interne profond que je me suis tourné vers les substances psychoactives.


Est pour cela que j’ai choisi de devenir dépendant ? Certainement pas, c’est un piège qui s’est refermé sur moi et qui m’a entrainé dans une descente qui a duré des années. Entre
approvisionnements ; consommations et gestion des descentes de plus en plus difficiles, la
notion de béquille de soutien de récompense ou de plaisir ont disparues pour laisser place à un enfermement, une culpabilité une honte que je ne souhaite pas à mon pire ennemi.

Passé la période de soins en hôpital psychiatrique et parallèlement à un suivi médical, j’ai
entamé mon parcours de rétablissement qui ne s’arrête pas à une non-consommation ou à un contrôle de mes comportements mais à une remise en question profonde qui fera l’objet d’un autre article.

Pour en revenir au groupe d’entraide, c’est là que j’ai pu répondre à quelques besoins qui sont venus apaiser ce mal être dû à la consommation. C’est pour moi l’illustration de ce qu’un groupe d’entraide apporte en début de rétablissement.

Quelques mots sur ces besoins :

Besoin d’appartenance

La consommation isole la personne plus que tout. Tenant dans un premier temps l’autre pour responsable, le besoin de faire corps avec d’autres de se retrouver parmi des personnes qui sont des pairs permet un premier pas vers une sociabilisation oubliée. Dès lors mon existence prend de la valeur au travers le groupe et je vais faire plus attention à moi.

Besoin d’être compris

Pour beaucoup l’usager de substances psychoactives ou la personne présentant une obsession comportementale est juste une personne dérangée mentalement, qui manque de volonté et ne sait pas faire la part des choses et maitriser ses envies. Cela est d’autant plus vrai lorsque la personne consomme des substances illicites ce qui ajoute un critère moral dans le jugement porté. Beaucoup ont l’image de l’addict comme étant une personne marginale, SDF vivant de mendicité ou de rapine. Pourtant perdre le contrôle de sa consommation ou d’un comportement spécifique reconnu comme une addiction n’empêche pas pendant un temps d’être inséré dans la société avec travail toit et famille… C’est parce que nous connaissons cette situation que nous ne jugeons pas le parcours d’un pair. Le changement est bien plus souvent une nécessité qu’un choix.

Besoin de reconnaissance pour ce que je suis et non ma maladie

Imaginez un monde dans lequel un diabétique, un cancéreux, un bipolaire ou une personne atteinte de fibromyalgie ne serait considérée qu’au travers leur maladie voire aux souffrances liées à leur maladie…. C’est inacceptable n’est-ce pas ? C’est une forme d’exclusion qui n’a plus sa place dans notre société, et pourtant j’entends encore des voix
s’élever pour dire qu’un alcoolique reste un alcoolique qu’un drogué ne s’en sort jamais… Il est temps de changer de regard ! Certes comme n’importe quelle maladie chronique, l’addiction ne se guérit pas mais il est possible de se rétablir de vivre normalement en prenant les précautions nécessaires pour gérer sans recours externe nos émotions et les coups durs de la vie.

Besoin d’être responsable

Pendant longtemps la culpabilité et la honte liée à un comportement addictif ont été un frein à la prise d’initiative ou de responsabilité. « Je ne suis pas capable » tout comme j’ai été incapable de m’arrêter lorsque je croyais simplement que ma consommation était trop importante. Cet épisode pendant lequel la faute de la poursuite de la consommation ou du comportement a systématiquement été rejetée sur l’autre parce que cela évite de se remettre en question a laissé chez beaucoup des traces et la prise d’initiative de responsabilité est devenue un moyen de poursuivre sa consommation plus qu’autre chose. 

Venir en réunion et que l’on nous demande pour le bien du groupe de faire quelque chose est au début d’un parcours parfois déroutant. J’ai vu des gens boire avant de venir parce que cela était trop difficile pour eux… Pour les personnes qui fréquentent les réunions, ce n’est pas un échec mais une expérience qui montrent certaines fragilités. Il est fréquent d’en discuter après coup et de chercher des parades pour la prochaine fois. Cependant, en prenant le temps et en avançant petit à petit les responsabilités deviennent des défis qui sont relevés souvent avec brio. C’est une avancée vers d’autres responsabilité à l’extérieur des groupes d’entraide pour retrouver une vie sociale professionnelle et familiale épanouissante.

Besoin de faire société

L’isolement est un mode de vie pour les dépendant. C’est le moyen le plus simple de pouvoir s’adonner aux trois activités essentielles de sa vie : S’approvisionner, consommer et gérer les effets de la consommation. Il n’y a graduellement plus de place pour autre chose et cet autre chose est pourtant un besoin primaire pour nous humains. Se relier à un autre humain est fondamental et permet d’échanger de partager d’aimer… Alors dans les groupes d’entraide, si l’accueil est inconditionnel (La seule condition est de vouloir changer) les anciens sont très vigilants aux relations qui vont se créer en particulier lorsque les deux personnes ont besoin d’amour. Pour avoir été souvent témoin, je sais que les risques de s’emballer et de vouloir aller trop vite mènent les deux protagonistes vers la rechute… 

Les relations nouées dans les groupes d’entraide ne peuvent concerner que l’entraide et la progression sur le chemin du rétablissement

 Les relations amicales sont elles encouragées et lorsque le rétablissement sera assez solide, alors il sera possible d’envisager une nouvelle vie. Pour résumer, il faut tout d’abord réapprendre à s’aimer soi avec ses failles et ses dépendances pour pouvoir aimer l’autre. Nouer

Groupe de parole ou groupe d’entraide ?

Besoin de témoigner, de transmettre

J’ai gardé ce besoin pour la fin car s’il parait simple de témoigner de son parcours de transmettre ce que l’on a appris, il est aussi facile de tomber dans une forme de « MoiJeSais » qu’il convient à tout prix d’éviter car la maladie prend des formes différentes et des intensités différentes selon la personnalité de chacun. Ainsi le rétablissement est un parcours unique qui pour moi débute avec l’arrêt des consommations ayant causé l’addiction et ne s’arrête jamais. Accepter de porter une maladie qui a un caractère héréditaire, apprendre à se connaitre et se reconstruire d’une façon différente et personnelle pour vivre en société, travailler ses atouts et ses faiblesses en renforçant les uns pour mieux se protéger des autres…

Tout ceci demande du temps, de l’exercice, et bien souvent une oreille, et une épaule attentive aux progrès.

J’ai vu des personnes ayant 10 ou 20 ans d’abstinence mais être dans la lutte pour ne pas reconsommer, j’ai vu des personnes reconsommer après 10 ans et ne plus trouver le moyen de mettre un terme à leurs addictions et choisir de quitter ce monde. Heureusement je vois aussi des personnes qui graduellement ont repris une vie de citoyen(ne) responsable et cultiver leur bonheur

Aujourd’hui je vais bien, et si je ne suis pas un modèle à suivre, je vais tout de même continuer à écrire sur le sujet des addictions et je vous proposerai prochainement un article sur le rétablissement, cette notion très discutée que je vois comme un chemin plutôt qu’un but à atteindre.

En attendant, n’hésitez pas à solliciter les groupes d’entraide comme outil complémentaire aux soins en addictologie.

C’est d’ailleurs un des chapitres de ma nouvelle formation sur la prévention des conduites addictives au travail.

Retour en haut