Le déni face à l’addiction
Pourquoi parler du déni
Bien que vivre dans le déni ne se limite pas aux personnes présentant un trouble de la consommation ou une dépendance liée à une conduite addictive, on retrouve souvent ce qui s’apparente à un manque de discernement, ou une stratégie d’évitement chez les ces personnes. Pour comprendre cette vision particulière du monde, il est important de rappeler que l’addiction n’est pas un choix mais plutôt la conséquence d’un choix parfois fait plusieurs années auparavant et dû à une incapacité à pouvoir faire face à un évènement ou un ressenti. Cet évènement ou ce ressenti ont été alors placé une case de notre mémoire dont le couvercle a été renforcé avec l’usage d’une substance ou d’un comportement seul remède pour soulager ce à quoi la personne n’était pas préparée. Le temps fait son œuvre et la tolérance puis le renforcement négatif détruisent petit à petit ce couvercle laissant l’individu avec deux problèmes… Celui qui l’a conduit à vouloir mettre un couvercle et une dépendance qui amène peu à peu vers l’addiction.
Définition scientifique du déni
Le déni est un mécanisme de défense psychologique complexe, particulièrement prévalent dans le domaine des addictions. Il se caractérise par le refus inconscient de reconnaître des aspects douloureux de la réalité externe ou des expériences subjectives évidentes pour les autres. Dans le contexte des troubles liés à l’usage de substances, le déni se manifeste souvent par une minimisation ou un rejet total de l’existence d’un problème de consommation, malgré des preuves manifestes du contraire.
Les recherches en neurosciences ont mis en lumière les bases neurobiologiques du déni dans l’addiction. Les études en imagerie cérébrale montrent que la consommation chronique de substances psychoactives altère les circuits de la récompense et du contrôle cognitif, ce qui peut expliquer la persistance du déni malgré les conséquences négatives évidentes.
Exemple : Un employé qui consomme quotidiennement de l’alcool au déjeuner et présente des signes d’ébriété l’après-midi, mais qui affirme catégoriquement ne boire « que de l’eau » pendant ses repas
Repérer le déni dans les paroles
Le déni se manifeste souvent à travers le discours de la personne concernée. Voici quelques indicateurs verbaux à surveiller :
- Minimisation : « Je ne bois pas plus que les autres. »
- Rationalisation : « Je fume du cannabis pour gérer mon stress au travail, c’est thérapeutique. »
- Projection : « C’est le chef qui me pousse à boire avec ses exigences impossibles. »
- Comparaison sélective : « Au moins, je ne suis pas comme Roger qui boit tous les jours. »
- Fausses promesses : « Je peux arrêter quand je veux, je l’ai déjà fait. »
Repérer le déni dans les gestes
Le langage corporel et les comportements non-verbaux peuvent également trahir un état de déni :
- Évitement du regard lors de discussions sur la consommation
- Agitation physique quand le sujet est abordé (Se gratter les bras, fermer les poings, serrer les mâchoires…)
- Gestes défensifs comme croiser les bras ou détourner le corps
- Dissimulation des signes physiques de consommation (manches longues pour cacher les marques d’injection ou port de lunettes de soleil dans un espace clos)
- Comportements furtifs pour cacher l’achat ou la consommation de substances
Conséquences du déni pour la personne dépendante
Rester dans le déni a des répercussions graves pour l’individu :
- Aggravation de la dépendance vers l’addiction : La non-reconnaissance du problème empêche la mise en place d’une prise en charge adaptée, conduisant à une escalade de la consommation, une tolérance accrue et les premiers symptômes de sevrage lorsque la personne est contrainte de ne pas consommer (Enervement, colères violences verbales ou physiques…)
- Détérioration de la santé : Les effets néfastes des substances sur l’organisme s’accumulent sans être traités.
- Problèmes professionnels : Baisse de productivité, absentéisme, risques d’accidents du travail.
- Isolement social : Afin de protéger sa consommation ou son comportement, la personne va couper les liens sociaux afin de protéger ce qui est devenu une « ressource ». Le déni peut conduire à un éloignement des collègues et de la famille qui tentent d’aborder le sujet.
- Troubles psychologiques : Augmentation du stress, de l’anxiété et risque de dépression. L’alcool, est par ailleurs un dépresseur qui aggrave les symptômes de dépression.
Exemple : Un commercial niant son alcoolisme qui perd progressivement ses clients, voit ses performances chuter et finit par être licencié pour faute grave après avoir conduit en état d’ébriété un véhicule de fonction.
Conséquences du déni pour l'entourage
Au travail
- Augmentation de la charge de travail pour les collègues qui compensent.
- Tensions dans les équipes et dégradation de l’ambiance de travail.
- Risques pour la sécurité de tous les employés, particulièrement dans les métiers à risque.
Je note toutefois une meilleure écoute dans les entreprises de ces conséquences qui peuvent entrainer d’autres salariés dans des situations de mal être de stress voire de Burn out.
La libération de la parole dans l’entreprise permet à l’ensemble des personnes de trouver une écoute et des solutions temporaires pour pallier les difficultés rencontrées.
Ne rien dire ou ne rien faire revient à laisser l’état d’une personne en difficulté s’aggraver pour ensuite ne plus avoir d’autres choix que se priver de ses services. Le maintien dans l’emploi est une solution bien plus économique (et humaine !)
Une étude récente a montré que le déni d’un employé souffrant d’addiction augmente de 37% le risque de burn-out chez ses collègues directs.
Dans la vie privée
- Stress chronique pour les proches qui se sentent impuissants
- Codépendance, avec des proches qui s’épuisent à couvrir les conséquences de l’addiction
- Problèmes financiers et légaux qui impactent toute la famille
Il existe des structures et des associations pou accompagner les proches dans les difficultés qu’ils ou elles rencontrent tant au niveau psychologique (culpabilité abandon…) qu’au niveau matériel (sécurité physique et financière).
Faire sortir une personne de son déni
1. Etablir une relation de confiance
La base de toute intervention efficace est l’établissement d’une relation de confiance avec la personne en déni.
- Créer un environnement sûr et non-jugeant où la personne se sent libre d’exprimer ses pensées et ses sentiments sans crainte de réprimandes.
- Pratiquer l’écoute active en montrant un intérêt sincère pour le vécu de la personne.
- Faire preuve d’empathie en reconnaissant la difficulté de la situation sans pour autant cautionner les comportements problématiques
Exemple : Prendre le temps d’écouter un employé parler de ses difficultés personnelles avant d’aborder le sujet de sa consommation d’alcool au travail.
2. Utiliser l'entretien motivationnel
L’entretien motivationnel est une approche evidence-based particulièrement efficace pour surmonter le déni.
- Poser des questions ouvertes qui encouragent la réflexion plutôt que la défensive.
- Pratiquer la réflexion miroir en reformulant les propos de la personne pour l’aider à prendre conscience de ses contradictions.
- Explorer l’ambivalence en aidant la personne à identifier les avantages et les inconvénients de son comportement actuel.
Exemple :Vous dites que boire vous aide à gérer le stress au travail. Pouvez-vous me parler des moments où l’alcool a au contraire compliqué votre travail ?
3. Présenter des preuves objectives
Le déni peut être ébranlé par la présentation de faits concrets et mesurables.
- Utiliser des outils d’évaluation standardisés comme le questionnaire AUDIT pour l’alcool ou le CAST pour le cannabis.
- Documenter les incidents professionnels liés à la consommation de substances.
4. Impliquer l'entourage professionnel
L’intervention de l’entourage professionnel peut avoir un impact significatif sur la prise de conscience.
- Organiser une intervention structurée où les collègues expriment leurs inquiétudes et l’impact du comportement addictif sur eux et leur travail.
- Former les collègues et managersà exprimer leurs préoccupations de manière constructive. C’est un point essentiel développé dans les formations Ker&Co
- Encourager le soutien mutuel entre collègues pour créer un environnement de travail propice au rétablissement.
Une étude a montré que les interventions impliquant l’entourage augmentent de 30% les chances d’engagement dans un traitement.
5. Proposer des alternatives concrètes
Il est crucial de montrer qu’il existe des solutions viables à l’addiction.
- Informer sur les options de traitementdisponibles, y compris les programmes adaptés au milieu professionnel. La « cure de désintox » n’est plus l’unique solution à un problème de consommation d’une substance
- Proposer des ressources pour gérer le stressde manière saine (méditation, sport, thérapies de bien être tels le Yoga la sophrologie et bien d’autres).
- Mettre en place un plan de retour au travailprogressif et adapté avec les services de santé au travail
Exemple : Présenter à un cadre dépendant à la cocaïne un programme de réadaptation professionnelle qui lui permettra de conserver son poste tout en se soignant pour se rétablir.
6. Utiliser l'approche des petits pas
Le changement est souvent progressif, surtout face à un déni ancré. Cette même approche sera proposée et pratiquée lors du retour en poste du salarié pour éviter la rechute. Le « Juste Aujourd’hui » permet d’avancer sur le chemin de la liberté en reconstruisant la confiance et l’estime de soi.
- Célébrer les petites victoires, comme la reconnaissance partielle du problème.
- Encourager des objectifs réalistes à court termeplutôt que d’exiger une abstinence immédiate.
- Proposer des périodes d’essaide réduction ou d’arrêt de la consommation.
Exemple : Suggérer à un employé de tenir un journal de sa consommation pendant deux semaines pour prendre conscience de ses habitudes, sans exiger de changement immédiat.
7. Maintenir une approche cohérente et persistante
Surmonter le déni et aller vers les soins prend du temps et nécessite une approche constante. En même temps, il est nécessaire de pouvoir limiter les risques d’accidents pour les autres salariés conformément à la loi.
- Établir des limites claires concernant les comportements acceptables au travail et permettre des absences lors d’épisodes de consommation mettant l’ensemble des personnels en danger pendant une durée fixée avec la personne.
- Appliquer systématiquement les conséquences prévues en cas de non-respect des règles en ayant informé la personne concernée.
- Offrir un soutien continu, même en cas de rechute.
Une étude longitudinale a montré que la persistance dans l’approche augmente de 40% les chances de succès à long terme.
Exemple : Un responsable qui maintient un suivi régulier avec un employé en rétablissement, offrant soutien et encouragements tout en restant ferme sur les attentes professionnelles.
Rôle des professionnels
Services de santé au travail
- Effectuer des bilans de santé et éventuellement des dépistages réguliers tout en orientant les personnes en difficulté vers les services de soins.
- Former les managers à la détection précoce des signes d’addiction.
- Mettre en place des protocoles de prise en charge respectant la confidentialité
Responsables RH
- Élaborer une politique claire sur la gestion des addictions dans l’entreprise en accord avec la direction générale
- Proposer des formations sur la gestion du stress, les conduites addictives et le bien-être au travail
- Mettre en place des procédures de soutien et d’accompagnement pour les employés en difficulté
Responsables QHSE
- Intégrer la problématique des addictions dans l’évaluation globale des risques
- Mettre en place des procédures de contrôle adaptées aux risques spécifiques du secteur
- Collaborer avec les autres services pour une approche intégrée de la sécurité
- Évaluer les risques liés aux postes de sécurité et proposer des mesures adaptées
- Développer une culture de prévention plutôt que de sanction
Exemple : Dans une entreprise de la grande distribution, le médecin du travail, le responsable RH et l’appui de Ker & Co ont mis en place un programme complet incluant des formations, des tests de dépistage aléatoires et un parcours de soins confidentiel, réduisant significativement les accidents liés à l’alcool dans l’entreprise.
En conclusion
Aider une personne à sortir de son déni lié aux addictions nécessite une approche multifacette, combinant empathie, fermeté et stratégies basées sur les preuves. En tant que professionnels, notre rôle est de créer un environnement propice au changement tout en respectant le rythme de chaque individu dans son parcours vers le rétablissement.
Nous abordons cette thématique avec la rigueur issue de nos expériences personnelles ce qui renforce nos actions de sensibilisation, de formation et d’accompagnement.
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